- Sa Famille
- Condamnation & Bagne de Marseille
- La Déportation en Amériques
- Naufrage
- Liste des Passagers du Notre-Dame de Bonne Espérance
- Sources & Notes
La famille JAMIER est originaire du hameau des Reculas à Saint-Firmin (Hautes-Alpes) : "le 15 mars 1517, le sieur Claude JAMIER, fils de Jean des Reculas, expose qu'il a des moulins proches le ruisseau appelé Brudour"1. Dès la fin du XVIème siècle, on retrouve également cette famille, à Brudour (hameau d'Aspres-lès-Corps), et à Saint-Julien (hameau de la Salette). Claude JAMIER est né vers 1638 à Pellafol (Isère), sa filiation n'est pas connue2.
les Chanaux, hameau de Pellafol
Claude JAMIER avait épousé avant 1667 Marguerite LONG, probablement fille de Guigues LONG & Marie LOUBET du hameau des Meyers, paroisse de Saint-Laurent en Beaumont3. Ils eurent au moins cinq enfants :
Marie, née le 11 mars 1668
Antoine, né le 10 août 1669, laboureur à Pellafol. Il épouse le 3 décembre 1687 Magdeleine MAILLET, dont au moins deux filles :
Marguerite, née le 10 février 1695 & décédée le 26 janvier 1766, épouse de Jean COMBE de Pellafol, dont postérité.
Magdeleine, née le 21 octobre 1701 & décédée le 6 avril 1769, épouse de Jean BLANC, journalier de Pellafol, dont postérité.
Claude, né le 21 juin 1671, marié le 4 janvier 1690 avec Anne GRISE, dont au moins trois enfants :
François, né le 27 janvier 1692
Pierre, né le 18 janvier 1695, décédé le 20 novembre 1739. Il épouse avant 1723 Marie BONNIOT, dont postérité.
Marie, née le 21 mai 1699
Jeanne, née le 19 février 1673
Jean, journalier et manoeuvre à Corps, marié le 11 février 1698 à Corps (Isère) avec Marguerite RUYNAT, dont deux enfants :
Claude, né le 6 novembre et décédé le 17 novembre 1698
Anne, née le 16 octobre 1701 et décédée le 27 janvier 1744, épouse de Marc GALLAND de Corps, sans postérité.
Comme de nombreux hommes de la région, Claude JAMIER était colporteur. Ces marchands ambulants portaient sur leur dos une "balle" contenant leurs marchandises, et les proposaient en faisant du porte à porte dans diverses régions de France (Forez, Auvergne, Limousin, Languedoc...) pendant la saison froide durant laquelle ils ne pouvaient cultiver leurs terres. Nombre de ces marchands se sont mariés dans ces contrées et y ont fait souche.
Poursuivit pour " crime d'exposition de fausse monnaie ", il est condamné par le Parlement de Grenoble le 25 septembre 1683 au bagne à vie. Il est amené de Grenoble à Marseille par maitre Benoît DEVAUX commis au greffe criminel du parlement de Grenoble avec au moins cinq autres condamnés : Pierre BONNARD maréchal de la paroisse "d'Otel", Jean CECILLON laboureur de Belmont (Isère), Pierre COURIOL drapier de Barcelonne (Drôme), Pierre DU ROCHER soldat natif de Vannes en Bretagne (condamné "pour avoir tiré l'épée contre son lieutenant") et Jean-François OSMAND soldat suisse natif de Valbourg (condamné pour désertion). Ils arrivent au bagne de Marseille le 12 octobre 1683. Claude y sera détenu sous le numéro matricule 57984. Son signalement est conservé : " Taille moyenne visage long poils noirs ".
Construction de galères & du nel arsenal de Marseille vers 1666
Tableau de Jean-Baptiste de la ROZE (1612 - 1687) |
Marseille, Musée de la Marine de la Chambre de Commerce |
La "chiourme" regroupait les prisonniers de droits communs, esclaves turcs ou "nègres". Ils vivaient les trois quarts du temps à quai, dans l'Arsenal5 de Marseille, véritable ville dans la ville, composée de différents ateliers, magasins, chantiers de constructions, ou bâtiments militaires... Certains travaillaient dans des savonneries ou dans des boutiques sur le ports, mais la plupart restaient dans l'Arsenal, travaillant sur les chantiers ou enchaînés et détenus dans les geôles de l'Arsenal. Le service en mer sur les galères durait environ deux à trois mois. Les forçats y étaient soumis à des conditions de vie difficiles : enchaînés jour et nuit à leur banc, soumis au coup de fouet généreusement distribués par leurs gardes.... L'espérance de vie des condamnés était logiquement considérablement réduite à leur arrivée au bagne.
Avec la révocation de l'Edit de Nantes en 1685 et donc la multiplication des arrestations de protestants, le bagne de Marseille n'est pas en mesure de recevoir cet afflux de nouveaux condamnés. Les forçats les moins valides sont donc petit à petit déportés en Amérique. Claude JAMIER embarque avec une centaine d'autres forçats et une centaine de protestants le 8 mars 1687 à bord du "Notre-Dame de Bonne Espérance" pour être "envoyé à l'Amérique". Enchaînés, les déportés sont entassés les uns sur les autres dans des chambres du vaisseau, "sur le point d'étouffer de chaleur". Après quatre jours passés à quai, le navire quitta Marseille le 12 mars 1687, en direction de l'île de la Martinique6.
Au commencement du voyage, "deux grandes tourmentes" firent beaucoup souffrir les prisonniers et particulièrement les premiers malades qui ne "pouvoient pas changer de place". Pour éviter la contagion, il est permis aux prisonniers d'aller deux par deux se promener et prendre un peu l'air. Les vents contraires obligent le navire à mouiller "à un Port nommé la Rouquette, de la coste d'Espagne" puis à Gibraltar où ils séjournèrent quelques jours "pour survenir à quelques pressants besoins, & pour avoir quelques rafraichissemens".
Le navire passe ensuite les "Isles de Madère", mais devant le nombre croissant de malades, "on relacha nos liens, & on nous permit de nous promener dans tout le Navire pendant le jour, nous jouimes de cette liberté depuis Gibraltar jusques à l'Amérique". Les prisonniers restaient la nuit dans leurs chambres, serrés et incommodés par la chaleur, "que tout cela ensemble, y avoit produit une grande quantité de poux & de vers, qui nous rongeoint & dévoroient la nuit &le jour". Durant la traversée, les maladies emportèrent quatorze hommes et cinq femmes protestantes, plusieurs forçats, un matelot et quelques soldats.
Le sieur Etienne SERRES raconte dans ses relations le naufrage du "Notre-Dame de Bonne Espérance", dans la nuit du dimanche 18 au lundi 19 mai 16877 :
Le Dimanche de Pentecoste, le Pilote ayant fait son calcul, dit au Capitaine qu 'il croyoit que nous n'étions qu'à quarante lieues de la Terre de la Martinique, & que de peur de heurter à quelque écueil, & de faire quelque naufrage, il n'étoit point d'avis de faire chemin la nuit suivante; le Capitaine s'opposa au sentiment du Pilote, il lui soûtint qu'il se trompoit dans son calcul, qu'ils étoient à plus de cent lieuës de terre, & qui'ils pouvoient continuer à faire le chemin le jour & la nuit, sans rien craindre en faisant bon quart.
Voici le lieu de parlers du funeste accident qui arriva à nostre Vaisseau, je décrirai un peu au long les circonstances des son naufrage pour faire voir au vray les choses de la façon qu'elles s'y sont passées. Le lundy après la Pentecoste, deux ou trois heures avant le jour, le pilote fut à la Prouë, pour voir si les gens qui faisoient le quart, s'acquitoient de leur devoir, il fut bien surpris lors que pensant qu'ils étoient occupés à leur tâche, & qu'ils surveilloient à la conservation du Vaisseau, il les trouva tous endormis, sa surprise s'augmenta, & fut suivie d'un grand étonnement, lorsqu'ayant voulu regarder de près les choses, il découvrit la terre, il cria aussitôt qu'on abaissat les voiles & il n'eut pas plutôt achevé de crier, que le Navire heurta fortement contre un Rocher : ce coup ébranla tout le Navire, & le remplit de tant de cris, de crainte & de gémissements, que les Matelots ne purent jamais s'entendre pour abaisser les voiles, selon l'ordre qui leur en étoit donné, de sorte que le Navire heurtant de plus en plus contre le rocher, le gouvernail se rompit, & il n'y eut qu'alarme & que trouble dans tout le Navire. Les femmes étoient fermées à clef dans leur chambre, & dans le désordre où tout le monde étoit, on ne se souvint de leur ouvrir que lorsqu'il ne fut presque plus tems : quelqu'un ayant enfin pensé à elles, & s'étant avisé de leur ouvrir la porte de leur chambre, ne pouvant trouver la clef, la rompit à coups de hache, quelques unes en sortirent du milieu des eaux, où elles nageoient déjà, & on trouva toutes les autres noyées dans les eaux, qui entroient de tous costez dans le Vaisseau, & dont leur chambre étoit toute pleine.
Plusieurs forçats furent empêchez par leurs chaînes de courir au moyen de leur conservation, ils étoient enchaînez, les uns avec les autres, & sept à sept; de sorte que ne pouvant jamais rompre les chaines dont ils étoient liez, ils jetterent des cris epouvantables pour emouvoir les entrailles, & pour faire venir quelqu'un à leur secours : ces cris ayant attiré près d'eux leur Comite, il eut pitié d'eux, il fit tous ses efforts pour rompre leurs chaînes; mais le temps étant court, & tous voulant être déliez à la fois, après avoir ôté les fers à quelques uns, il fut contraint d'abandonner les autres, craignant d'un côté que quelque coup de desespoir les portât à lui ôter la vie, lors qu'il ne pouvoit pas garantir la leur, & appréhendant de l'autre que le tems lui manquât pour se conserver lui-même, en donnant le tems à la conservation d'autruy.
Les Matelots tous troublez n'ayans jamais pû s'entendre pour abaisser les voiles, furent contrains de couper les deux grands Mats du Navire, & de mettre peu de tems après deux chaloupes en mer, où ils se jettèrent eux-même, & où quelques uns de ceux qui ne furent pas empêchez par leurs maladies les suivirent, quelques uns de nos prisonniers furent de cette troupe Le Capitaine voyant que tous craignoient de périr, & que chacun cherchoit une planche dans le Naufrage, voulant arrêter notre crainte, nous cria plusieurs fois d'avoir bon courage, nous disant qu'il ne s'en perdroit pas un de ceux qui restoient avec lui, mais quelque coeur qu'il fit lui-même paroître, quelque tems après il entra dans sa chambre, dépouilla ses habits, & se jetta dans la mer, pour se mettre dans le chaloupes, qui l'attendoient tout proche du Navire.
La mer étant alors fort enflée, & fort irritée, nôtre Navire en étant rudement secouë, & fort ébranlé, il fut mis en mille pièces par les vagues qui le poussoient, & par les rochers où il heurtoit : il ne nous resta dans ce débris qu'une partie de la Poupe, où nous nous retirâmes tous pour y chercher quelque azile & quelque ressource à notre misérable vie, qui étoit en si grand danger, & dont nous envisagions à tout moment le profond & affreux tombeau.
Dans le tems que nous avions les yeux en haut, ne voyans point de resource en bas; lorsque nous étions tous occupez à implorer le secours de la providence de Dieu, à remettre nôtre vie & nôtre ame entre ses mains, commençans à chanter le Psaume cinquante un; ce qui nous avoit resté du Navire pour nous servir de quelque refuge, & de quelque apuy, s'enfonça tout à coup dans la mer, où nous nous trouvâmes au milieu des vagues, & où je n'avois aucune force pour combattre avec elles, la maladie que je souffrois depuis longtems, & les remèdes qu'il m'avoit falu faire pour en étre soulagé, m'avoient réduit dans une telle foiblesse que j'étois incapable de faire aucun effort, pour sortir du danger où j'étois enfoncé : deux jours avant nôtre Naufrage, le Sr. Itenchon Chirurgien, un de nos prisonniers, m'avoit saigné de mes deux bras, & m'avoit donné deux lavements, ce qui n'avoit laissé en moi aucune force pour travailler à ma conservation, lors que j'étois tout couvert de flots, & en danger de perdre bientôt ma vie, selon toutes les apparences, je ne pouvois jamais me tirer des gouffres où je me voiois comme enseveli; mais Dieu qui aime à paroître dans l'extremité, & qui se plaît à faire voir qu'il peut tout, là où nous ne pouvons rien, me conserva d'une manière toute miraculeuse.
Les plus chanceux échappèrent au naufrage grâce aux chaloupes, d'autres furent "délivrez par les Sauvages"8 venus à leur secours sur un canot dans la journée du lundi, d'autre enfin dérivant avec les débris du navire furent sauvés par "deux Négres"9 sur une petite barque dans la nuit du lundi au mardi. Environ cent trente personnes périrent pendant le naufrage, quelques soldats et matelots, deux passagers et beaucoup de forçats, qui, ayant été enchaînés sept par sept, périront en grand nombre. Le lieu du naufrage porte le nom de Caye Pinsonnelle, du nom du capitaine du navire, Guillaume PEYSSONNEL10. Le site du naufrage a été découvert il y a quelques années et identifié par le Groupe de Recherche en Archéologie Navale Martinique. Concernant les survivants, le gouverneur de Martinique écrit à Colbert en mai 1687 : "Les Peuples sont fort estonnez de ces envoys, les forçats sont accablez d'années et d'incommoditez et absolument inutiles. Les Religionnaires seront fascheux et les habitants craignent avec raison que lorsqu'ils auront connu le pays, Ils n'enlèvent leurs negres et ne les emmenent chez les anglois vue la facilité qu'il y a de touver des canots et l'impossiblité de garder les Isles". Les déportés devenaient esclaves dans des exploitations de canne à sucre ou de tabac. |
|
La destinée exacte de Claude JAMIER et de tous les forçats en général est inconnue, s'il a survécu à la traversée, il n'a probablement pas survécu au naufrage.
Le Notre-Dame de Bonne Espérance est un navire marchand de 300 ou 400 tonnes, construit en 1681, propriété du marseillais Marc-Antoine LEROY11, qui a été affrété sur ordre de l'intendant du bagne de Marseille pour la déportation de forçats et de protestants. A son départ, le navire transportait 35 hommes d'équipages, 23 soldats constituant la garde des déportés et des forçats, 6 passagers volontaires, une centaine de déportés protestants et tout autant de forçats. Les deux écrivains présents à bord : Mr du BRÜEIL, de Paris, écrivain du roi & Mr LA TATTE "du côté de Bordeaux", écrivain du vaisseau, périrent lors du naufrage.
|
|
|
|
|
|
Principales sources utilisées :
Notes :